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Mes premiers pas au paradis


Mes premiers pas au paradis


Âne un jour âne toujours, me disait ma mère. Même avec ma promotion royale, cela ne m’a pas aidé à faire dans la subtilité. Que voulez-vous que je vous dise, «je suis comme ça, ne m’en voulez pas, comme ça c’est moi», comme disait Khaled the King.

Aéroport Pierre Eliot Trudeau, à Montréal, il est 18h40. Je débarque sans perdre un instant, de l’avion affrété par notre compagnie nationale air Algérie. Enfin, mon rêve se réalise, je suis bel et bien au Canada. Je pense déjà à mon premier article… Boukhil aux portes de la gloire ou encore, le Canada vu par moi-même et approuvé par tous.

Mais peut-être que je ne devrais pas écrire, ou plutôt écrire des papiers légers en attendant de comprendre, me disais-je. Après tout, je ne suis que nouveau ici, enfin même pas encore. Mon euphorie, mon extase et ma joie paradisiaques pourront déteindre sur mes papiers (NDLR : Un article de presse, dans le dialecte «baveutique»). Au risque de donner une image exagérée du paradis à mes lectrices et à mes lecteurs. On verra bien, la question ne se pose pas à l’heure actuelle… présente. 

Une fois ce qui sert de contenant à mes effets personnels récupérés par moi-même, je me hâte vers les portes de la délivrance.

Paradoxalement, les «paradisants» (NDLR : Les candidats au paradis) ne peuvent choisir la porte d’entrée par eux-mêmes. Ils sont alignés en file indienne qui serpente toute la surface pré-paradisiaque et à chaque fois qu’un guichet se libère, le premier de la file indienne s’y engouffre.

En voyant la file indienne, j’ai tout de suite compris les tenants et les aboutissants de cette civilisation qu’est la civilisation canadienne. Cette modernité ne peut avoir d’origine que dans un ancrage dans le passé indien de cette nation. C’est clair.

En passant, certains «paradisants» sont mis de côté. Après moult discussions avec le préposé au paradis. Ils sont envoyés vers un autre préposé à l’allure d’un Godzilla. J’ai de suite compris qu’il s’agissait du purgatoire. C’est clair.

Je ne veux pas être une mauvaise langue, mais Godzilla alias moustache, doit avoir de sérieuses raisons de garder ces gens d’une certaine nationalité au purgatoire. Ce n’est certainement pas pour jouer une partie de belote.

Moi-même, au bout de sept heures de cohabitation collective avec eux, je peux vous dire, sans l’ombre d’un doute, si mineur soit-il et sans les avoir regardés, ce que reprocherai Godzilla à chacun d’entre eux.

Dieu vous en préserve, durant tout le trajet aérien, on se voyait sans se regarder. Nos yeux traçaient des trajectoires dans tous les sens en essayant de s’éviter. On aurait dit une «Star Wars» en plein ciel. Dieu vous en préserve, j’ai vu l’invisible (NDLR : Ce qu’on ne devrait pas voir). De l’huile d’olive dans des sacs à main, une boule de chique sous le siège, des disques de Chebba Zahwaniya et j’en passe. On aurait dit un vol vers Oued Gherbouche. Si ça tenait à moi, je vous aurais débarqué tout ce monde dans l’atlantique. Je ne veux pas être une mauvaise langue, mais il faut que je précise : sans gilet de survie. C’est clair.

Maintenant que je suis à deux pas du paradis, je dois me concentrer pour ne pas passer avec les pécheurs chez Godzilla. Je mène une opération d’intégration éclaire. Que j’ai nommée : «opération intégrale triple». L’intégrale pour intégration, c’est clair. Triple, c’est un mot fétiche, mais je trouverais bien une explication, va.

De un, je dois me désintégrer et me libérer, cela ne voudra pas dire que je renie la culture de mes ancêtres, je mangerai des merguez et du couscous le dimanche. À l’occasion, j’écouterai Dahmane El Harrachi dans mon sous-sol  … avec mes écouteurs et puis comme cela est sacré, j’achèterai le foie d’agneau à l’Aïd.

De deux, je dois m’intégrer à la société d’accueil : J’ai déjà commencé depuis l’entrevue à Tunis. Je connais par cœur les Bryan Adams, Céline Dion, Beau Dommage et j’en passe. Je suis même prêt à passer le diplôme de citoyenneté canadienne. J’adore le sirop d’érable sans y avoir goûté. J’aime l’hiver canadien. Et je sais déjà comment je vais me déguiser à la prochaine Halloween. En Mohican. C’est clair.

De trois, je dois me tenir le plus loin possible de mes ex-compatriotes. En traduction littérale, mes ex-anciens ont dit : Tu fais la connaissance d’un compatriote, tu perds une baguette. Et entre vous et moi, pour une fois qu’ils disent quelque chose de vrai, ce quelque chose, mène toute la smala au BS. Évidemment que je suis au courant que le ministère de l’Emploi et de la Solidarité a ouvert une antenne de solidarité à St-Michèle. Pour l’emploi, il faudrait qu’il se trouve un autre Cartier, c’est clair.

Enfin, mon tour est arrivé, un préposé me fait signe de son index, pour m’inviter aimablement à m’engouffrer à mon tour. D’un pas décidé, je me dirige droit au but, prêt à assumer ma nouvelle condition. Je suis un nouvel homme, un descendant digne de Chingachgook (NDLR : Brave guerrier Mohican dans le film, The last of the Mohicans). Le préposé s’adresse alors à moi, dans un français à peine compréhensible, bienvenue au Canada, dit-il avec une grimace que j’ai présumée être un sourire. Je réponds en double détente par un merci beaucoup traditionnel et avec un sourire surdimensionné. Le préposé au paradis enclenche ses questions d’une manière mécanique. Il prenait des notes. On dirait qu’il avait une grille de lecture devant lui et qu’il remplissait une feuille de match. Et je soupçonne que ma double détente m’a fait perdre quelques points au score. Au fur et à mesure que l’entrevue progressait, je me voyais me rapprocher du purgatoire. Alors, j’ai décidé de jouer le tout pour le tout. Pas question d’aller côtoyer le peuple des coupables-nés, du moins, pas aux portes du paradis, dit.

Et justement, le préposé vient de m’en offrir une, une à laquelle mon ex-cousin Ali dit le Tchatteur m’avait préparé. Le préposé me demande ce que j’avais à déclarer. Alors comme un étudiant à qui on posait une facile, j’ai rétorqué : Voulez-vous que je déclare tout ? Absolument tout me répond-il. J’ai alors pris un crayon et un papier et j’ai commencé à aligner mes chiffres. Le préposé me regardait bizarrement et jetais un coup d’œil indiscret à mon papier. J’ai tracé un trait et mis le nombre $250 277 en gras. J’ai tendu la feuille au préposé, il l’a prise avec un grand sourire, un vrai cette fois-ci. En tout cas, il avait l’air plus intelligent avec ce nouveau sourire. Il m’a alors demandé : c’est quoi ça. J’ai répondu : le coût de ma scolarité selon la grille d’ici, en lui tendant mes diplômes. Il les a pris et les a examinés un par un avec un plus gros sourire. Il m’a tendu mes diplômes en me demandant : tu vas où ? J’ai répondu à Montréal dans un hôtel. Et il a rajouté, tu sais combien ça a coûté l’autoroute d’ici à Montréal. À ce moment-là, j’ai senti qu’on était plus dans le compromis qu’auparavant. J’ai alors répondu : je ne sais pas, mais je vais sûrement participer à son entretien. Tout alors devenait clair pour tout le monde, pour lui et pour moi. Il m’a salué et souhaité bonne chance. Alors un merci beaucoup m’a échappé  involontairement. Et d’un pas hésitant, j’entrais au paradis.

Après cette brève expérience, ce n’est plus tout à fait clair. Mais ça va passer, va.

Saha Aidkoum !

Votre humble serviteur,
 Âne Roi

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