Partie I : L’alternance à l’épreuve du discernement
Partie I : L’alternance à l’épreuve du discernement
Mohamed Dadi (*)
” On le sait que c’est l’intention qui compte, mais ça aide de la farcir d’un brin de discernement, de temps en temps.”
Antonine Maillet dans Pélagie-la-Charette
Une légende à la peau dure
J’ai beaucoup d’empathie pour les tenants de la théorie de l’hégémonie de la gouvernance au sein de nos associations communautaires. Je ne doute pas un instant de la sincérité de leurs démarches. Je crois même comprendre la cause de leur acharnement intellectuel à nous vendre cette conjecture sous forme de tautologie. À moins que les intéressés ne nous exposent d’autres arguments que ceux qu’ils nous ont ressassés depuis l’éclosion de cette légende urbaine… Nous serions alors tous heureux et pleins de reconnaissance de nous sentir plus intelligents que nous ne l’étions la veille.
Je vais m’appliquer dans ce qui suit de vous démontrer par un raisonnement très simple les deux résultats suivants : le premier nous intéresse directement, le fondement nul de la théorie de l’hégémonie de la gouvernance de nos associations, le second, étant un effet de bord du premier, ou comment on peut créer une tornade dans un verre de thé, mais surtout, comment on peut faire durer cette tornade après l’évaporation du jus sacré. Je vais aussi me permettre, connaissant votre indulgence, quelques digressions et « vannes » bien de chez nous, pour alléger la lourdeur inhérente au sujet.
Un centre et son péché
Pour ne pas partir dans des supputations interminables et nous faire l’économie de la « science des poussières », et étant donné que notre problème n’a pas encore atteint les abords de l’Est river à Manhattan, je vais préciser l’objet de mon intervention. Nos lecteurs, qui ne sont pas dans les secrets du village, pourront suivre avec nous ce polar, mille fois remis sur … le papier.
Le centre culturel algérien fut créé en 1999 par un petit groupe d’Algériens, étudiants à l’époque et fraichement débarqués dans la belle province. Son premier siège se situait juste au-dessus de l’endroit où on peut savourer une «garantitta-cammoune ». Ce choix fut le premier succès marketing du centre. Il eut beaucoup d’autres succès par la suite. Inutile de préciser que le «Cammoune» pour payer le loyer du local, provenait à l’époque tout droit du Ministère de l’Éducation, en d’autres termes, des prêts et bourses des étudiants fondateurs. Au centre, on se sent presque à la maison, le mobilier provient pour beaucoup, d’articles que nous avons usés chez nous et qui ont ressuscité après des ventes de garages ratées. Chaque coin du centre recèle un souvenir, une odeur, une présence, une peine, des joies, une larme ou des fous rires. Ainsi, la télé, son meuble et une bonne partie de la bibliothèque qui se trouvent dans le hall, nous ont été léguées par un compatriote, quelque temps avant son départ pour son ultime demeure. Ceci pour vous dire que pour moi et pour beaucoup d’entre vous, le centre n’est à aucun titre comparable à une administration froide et inhumaine, ce n’est pas non plus un parlement, où le monde se saigne pour le pouvoir. Nous avons beaucoup de respect et d’amour entre nous, nous sommes en quelque sorte des frères et sœurs qui ont eu le privilège de se choisir, le meilleur des deux mondes… Nous avons aussi beaucoup de sollicitude pour nos visiteurs qui nous permettent de les servir. Nous n’existons avant tout, que parce qu’ils nous font confiance…
Il m’a semblé crucial de mettre en évidence cette dimension du centre. C’est une invitation d’intégrer cet aspect du centre, quand on s’adonne à des réflexions sur celui-ci. J’ai pensé que ce n’est pas trivial de déceler ce bazar romantique de l’extérieur. Et puis, la probité intellectuelle nous dicte d’intégrer toutes les facettes d’un sujet avant de le soumettre à l’étude. Autrement, nous pourrions aboutir à des conclusions burlesques, voire boiteuses. Ainsi, on commence par raconter des histoires… qui finiront dans le registre sacré de l’histoire. On reproduit alors les modèles prétendument intellectuels qui nous ont fait fuir à des milliers de lieues de notre «Houma» natale.
Ce n’est pas parce qu’on ne peut pas quantifier un certain aspect d’un sujet qu’on peut se permettre de l’éliminer. Je présume que les raisons d’État ont pris naissance dans des raisonnements simplistes, comparables à celui-là.
Je vais présenter l’autre dimension du centre. Auparavant, je me permettrais d’emprunter une citation de Malek Bennabi Allah yerahmou, qui va me servir de cadre de réflexion sur les réalisations du CCA. Dans son livre «Les conditions de la renaissance», Malek Bennabi dit à propos de la renaissance : «… il ne s’agit pas d’entendre la chose sous son angle philosophique, mais sous son angle pratique, il s’agit d’approprier l’action nécessaire au but envisagé… je vous le dis: ce qui manque au musulman ce n’est pas la logique de pensée ,mais celle de l’action… il faut honorer la main qui tient la lime ou le rabot, c’est d’elle que surgira le miracle qu’on attend…». Qu’en pensez-vous? Limpide comme l’eau de ZEMZEM, vrai comme la quadrature du carré, n’est-ce pas? Détrompez-vous, l’adolescence intellectuelle voudra toujours avoir le dernier mot, c’est dans la nature des choses… La certitude du dogmatisme et l’éternel scepticisme du pyrrhonisme verront là une tentative d’abus de notoriété de la part du penseur pour museler les têtes bien-pensantes. Une atteinte à leur droit sacré de dire. De dire, même quand ne pas dire est salutaire. De dire la chose et son contraire, sur le même forum, durant la même semaine et dans le même fil de discussion. Comme quoi, le caractère sacré du dire justifie à lui seul toutes les incongruités, aussi flagrantes soient-elles. Il permet par une alchimie douteuse, digne du professeur Tournesol, de transformer la honte en fierté et le bavardage en sagesse… Quand on parle pour s’écouter, quand on écrit pour se lire, on devrait sérieusement envisager de s’adresser à des professionnels autrement plus compétents que nous autres, mortels immigrants et qui pourront certainement nous aider…
L’autre dimension du centre relève justement du miracle et du rabot en même temps. Commençons d’abord par le rabot si vous le permettez. Antonine Maillet disait dans son roman « Cent ans dans les bois » : « La meilleure façon de rayer le passé est d’enluminer l’avenir ». Et c’est justement ce à quoi s’est employé le centre depuis sa fondation en 1999. Contribuer à enluminer d’abord notre avenir à nous et peut-être, par le miracle du cercle vertueux, aider à enluminer celui de nos enfants par la suite. La persévérance dans l’action fut l’outil le plus payant… Les résultats étaient presque toujours au rendez-vous. Sur le front de l’emploi, des centaines de formations techniques dispensées et du conseil en emploi ont permis à beaucoup de familles de sortir du piège du « Besbes ». Sur le plan culturel, une radio « Salam Montréal ». La célébration des fêtes nationales et religieuses. Des cours de langue arabe pour nos enfants ainsi que des cours de langue arabe langue seconde, pour nos compatriotes québécois. Sur le plan social, la participation aux débats de la société d’accueil qui concernent les communautés culturelles. Le Fonds Maghrébin de Solidarité et les diverses opérations d’aide financière, notamment celles relatives aux soins médicaux et aux cas de rapatriements. Les excursions estivales et le camp d’été pour les enfants. Les cliniques d’impôt… La prévention de la détresse psychologique par l’organisation de rencontres informelles, dont la rupture du jeûne et le couscous de la fraternité. Et ceci n’est qu’une liste non exhaustive des réalisations du centre. Toutes ces actions étant bien documentées au centre, depuis l’objectif de l’action, jusqu’au nombre d’heures de bénévolat nécessaire à sa réalisation. Bien entendu, ces actions n’ont pas une valeur universelle. Elles n’ont une valeur que pour celui qui reçoit le service et… pour celui capable d’empathie envers les compatriotes en mauvaise passe et qui ont ou auront besoin du service.
Et le miracle dans tout ça? N’importe quel gestionnaire de projet vous dira que son plus grand défi est la construction du groupe. Ceci est d’autant plus vrai quand on parle de bénévolat. Nous sommes tous de bons performeurs en solistes, notre performance chute dramatiquement, dure beaucoup moins longtemps quand on se met en groupe. Est-ce un secret ? De polichinelle, peut-être ! Soit, le centre a réussi à construire le groupe et surtout faire durer sa cohésion autour d’objectifs simples, avec des attributions souples dans le temps, dans le respect des besoins et des compétences de chacun. Ainsi, comme bénévoles nous avons pu développer des expertises dans divers domaines, qui dans la gestion d’évènements, qui dans les relations publiques, qui dans les médias… Une autre facette du miracle, c’est l’ouverture du centre aux divers courants de la société algérienne. Ainsi, bien que nous ne soyons pas un organisme gouvernemental et que le seul pétrole que nous possédons est celui que nous payons à la pompe, nous sommes très fiers de compter parmi notre clientèle, des compatriotes des quatre coins de l’Algérie, voire du Maghreb. La dernière facette du miracle et non la moindre, est la contribution du centre au regain de confiance à l’intérieure de la communauté. Là-dessus, nous sommes partis de très loin, d’aussi loin que « Le mur a des oreilles » de Dahmane El Harrachi rahimahou Allah.
C’est tout, c’est tout ce que je voulais dire à propos du centre, comme dirait Forrest, Forrest Gump.
À suivre…
(*) Mohamed Dadi est membre et bénévole du CCA. Il est responsable de CCA-Professionnel qui s’occupe de l’aide à la recherche d’emplo.
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