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1ère partie : Diplômés algériens à l’épreuve du « modèle » canadien

Avec la collaboration de M. Hocine Khelfaoui, Professeur associé au Centre Interuniversitaire de Recherche sur la Science et la Technologie, UQAM, Montréal, SALAMONTREAL, vous présente un dossier intitulé : Diplômés algériens à l’épreuve du « modèle » canadien. Le dossier sera présenté sous forme de plusieurs épisodes.

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1ère partie 

  • Introduction

La migration des algériens vers le Canada ne cesse, depuis le début des années 1990, de prendre de l’ampleur. Les modalités particulières de son organisation par le pays d’accueil et l’image de marque que celui-ci a réussi à se donner à travers le monde en font un lieu de destination rêvé pour les citoyens non seulement des pays en développement, mais aussi des pays industrialisés, comme l’Angleterre et la France qui comptent parmi ceux qui viennent en tête des pays d’émigration vers le Canada, ainsi que l’Italie, l’Espagne ou la Belgique. Le Portugal et la Grèce y disposent aussi d’importantes communautés. Je dois dire, tout de suite, que je ne suis pas spécialiste de l’émigration. Je dois ma présence à ce colloque à deux circonstances . La première est une rencontre avec Hocine Labdelaoui, Directeur du Département de sociologie de l’Université d’Alger, au cours de laquelle il m’a demandé de « faire un effort pour dire quelque chose » sur le phénomène de l’émigration des Algériens au Canada qui, comme vous le savez, ne cesse de prendre de l’ampleur. La deuxième est toutefois moins circonstancielle : travaillant déjà sur la communauté scientifique algérienne, j’ai profité de mon séjour au Canada pour effectuer un bref sondage auprès de quelques universitaires récemment établis dans ce pays. C’est donc sur des matériaux somme toute modestes que s’appuie cette communication.

  • Aperçu sur l’immigration et la politique canadienne d’immigration

La Canada, c’est connu, est un pays d’immigration. La moitié de sa population, soit 15 millions, est arrivée après la création de la Confédération, en 1867. Depuis 10 ans, le Canada reçoit 221000 immigrants par an en moyenne. La plupart d’entre eux acquièrent la citoyenneté au bout de 3 à 4 années de séjour. Contrairement aux pays européens, et même aux États-Unis, ce pays a mis en place une politique rigoureuse d’immigration qui lui permet de filtrer et de choisir ses immigrants en se basant sur des critères démographiques, professionnels et linguistiques. Les principales provinces d’accueil sont par ordre décroissant l’Ontario, qui reçoit à lui seul plus de la moitié des immigrants, la Colombie Britannique et le Québec. La proportion d’immigrants arrivée entre 1991 et 2001 représente 33,6% de la population d’origine étrangère, ce qui montre une forte croissance de l’immigration au cours de cette décennie. Cette accélération concerne particulièrement la province du Québec où 34,6% des immigrants (lesquels représentent 9,9% de la population de la province) sont arrivés au cours de la décennie considérée. Cette province est justement la destination préférée des Algériens. Comme le reste des immigrants du Québec, les Algériens se trouvent concentrés dans une proportion de plus de 85% à Montréal, ville qui vient au troisième rang des villes canadiennes en matière d’accueil des immigrants, après Toronto et Vancouver.

  • L’immigration algérienne, un projet familial

L’immigration algérienne, qui compte parmi les plus récentes, a connu deux vagues. La première, minime, est liée à la politique nationale de formation des cadres à l’étranger mise en oeuvre durant les années 1970 et 1980. La deuxième vague se rattache plus à la crise multiforme qui ravage l’Algérie depuis la fin des années 1980. L’essentiel des immigrants algériens, évalués en 2005 à 40000, fait partie ce cette dernière vague, qui se poursuit à ce jour.

Il n’y a pas lieu de s’étaler sur les conditions qui poussent les Algériens à quitter leur pays, même si on ne peut comprendre les modalités de leur intégration dans le pays d’accueil, si l’on n’a pas en vue les causes de départ. Celles-ci sont nombreuses et constituent un sujet aussi connu que polémique. Il faut dire tout de même que sur les 19 personnes sondées , deux seulement ont évoqué, de façon d’ailleurs marginale, le motif « sécuritaire » et aucune n’a parlé d’un mobile économique. Or ces deux motifs constituent dans le discours ordinaire, notamment médiatique, les deux principales causes attribuées à l’émigration algérienne en général et celle vers le Canada en particulier. Les causes qui ressortent de la bouche des immigrants sont tout à fait différentes de celles-là ; par ordre décroissant et selon le critère du nombre de fois cité, elles se rapportent à l’éducation des enfants, l’espoir d’une qualité de vie meilleure, les injustices subies dans le pays d’origine (notamment sous la forme de la hogra) et le sentiment que le pays ne sortira pas de sitôt de la crise.

Ce discours rappelle étonnamment ceux que nous ont tenu en 1992, ici même à Montréal, les Algériens de la première vague (Khelfaoui, 1996). Déjà, à cette époque, les propos qui revenaient le plus souvent portaient sur les notions d’« injustice » et d’«impressions » que le pays est parti pour s’enfoncer dans un sous-développement durable. Pourtant, le contexte dans lequel les deux vagues d’émigration se sont produites est fort différent, les uns étant partis dans une période réputée florissante, les autres dans une période de grave crise économique, sociopolitique et sécuritaire. Au-delà de la notion d’injustice, qui renvoie ici surtout à la question de l’État de droit, la continuité de ce discours, dans des conjonctures très différentes, tend à montrer que l’émigration est, ici, intimement liée à la notion d’espérance. Les Algériens interviewés ont émigré parce qu’ils ont perdu espoir en leur pays. L’espoir étant un horizon, ce qui importe, ce n’est pas vraiment le présent, qu’il soit fait de prospérité ou de misère (« la misère, le salaire dérisoire, je les assume s’il y a des perspectives, mais je ne vois rien qui vient ») mais le futur ; or celui-ci parait dénué d’espoir et ses « horizons sont bloqués. »

Mais, pourrait-on rétorquer à juste titre, de quel futur s’agit-il pour ceux, et ils sont nombreux, qui ont l’âge de la quarantaine avancée, dépassant souvent la cinquantaine ? Neuf personnes sur les 19 interviewées sont dans la tranche des 45-55 ans, les 10 autres se répartissent entre 35 et 44 ans. Pour la plupart, ils ont une carrière professionnelle déjà largement entamée si elle n’est presque derrière eux. La réponse à cette question laisse entrevoir l’importance que prend le projet familial comme facteur d’émigration. Chez les individus d’âge mûr, « l’avenir des enfants » se présente comme un élément déterminant dans la décision d’émigrer. Les propos recueillis ne laissent pas croire en l’existence d’un projet précis qu’ils se proposent de réaliser. L’émigration se présente essentiellement comme une quête d’espérance, espérance entretenue par le rêve d’un avenir heureux pour les enfants et la « paix » pour soi-même. La « paix » est entendue surtout au sens de tranquillité d’esprit et se réfère plus à la notion de « justice » qu’à celle de « sécurité ».

Cette signification se retrouve même chez ceux qui disent être venus dans ce pays en quête de « vie meilleure ». L’un d’eux l’explique ainsi : « je veux être à l’aise avec moi-même, je n’en veux à personne, je suis à la recherche de mon équilibre personnel ; maintenant, j’ai d’autres soucis, peut-être non moins importants, mais je les assume parce qu’ils sont objectifs et parce que personne ne me les a imposés ». Bref, tout cela tend à conforter l’hypothèse, déjà formulée en 1996 (Khelfaoui, 1996), que l’émigration des cadres algériens depuis l’indépendance n’a pas et n’a jamais eue de fondement économique . Pas plus qu’elle n’a, en ce qui concerne la deuxième vague, un fondement sécuritaire, pour sa grande majorité en tout cas.

Chez la majorité des personnes rencontrées, le projet d’immigration est aussi principalement un projet familial. Et c’est aussi sur ce point que le projet de l’immigrant rencontre celui du pays d’accueil, qui poursuit prioritairement un objectif de peuplement et de rajeunissement de sa population. Contrairement à ce qui se dit, il ne paraît pas du tout évident, comme il est de bon ton de l’affirmer en Algérie, que le Canada ait une politique délibérée de « drainage de cerveaux » ou que ceci en soit un objectif majeur. Les critères de choix de l’immigration intègrent certes la détention d’une qualification demandée sur le marché du travail canadien, mais l’échec de cette disposition, constaté depuis des années, et la poursuite de la même politique d’immigration, montre largement que ce critère ne constitue pas une préoccupation essentielle de la politique d’immigration canadienne. Du côté de l’immigrant « bardé de diplômes », c’est aussi parce que le projet d’émigration est avant tout un projet familial qu’il accepte les conditions d’intégration socio-économiques qui le « déclassent » par rapport à ses titres universitaires.

Ce thème du « déclassement » me permet de faire la jonction avec le deuxième aspect de ma contribution, sur lequel je vais m’appesantir un peu plus, à savoir les conditions d’insertion socioprofessionnelle des immigrants algériens au cours de ces 10 dernières années. La réalité, en terme d’emploi, des immigrants en général et des Algériens en particulier passe pour être assez difficile. Pour plusieurs raisons que nous essayerons de parcourir dans la suite de cet exposé, ces difficultés sont particulièrement pesantes.

Par Hocine Khalfaoui

Professeur associé au CIRST, UQAM

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