Vérités assassines
L’observation de la situation de la communaut? laisse perplexe. Tandis que les difficult?s et les dangers de toutes sortes s’accumulent, les divisions et les n?gligences de tous ordres se multiplient. Au moment où tout un chacun pr?tend servir, tout un chacun se comporte comme s’il cherchait à nuire. Toujours satisfait de soi-même, ?ternellement suspicieux des autres, tout un chacun participe à la st?rilisation de toute dynamique associative saine, seule à même de mobiliser les ressources, les ?nergies et les potentialit?s de notre communaut?. Pourquoi donc ces enfantillages qui ne semblent au b?n?fice de personne mais que plusieurs ch?rissent et y tiennent comme aux prunelles de leurs yeux ? Quel est donc l’enjeu ? Que cherche-t-on à montrer ou à d?montrer ? Et à qui au juste ? A soi ? Aux autres ? Pourquoi ?
Qu’il ait des divergences intracommunautaires, rien de plus naturel. Quand elles portent sur les lectures que nous faisons de notre contexte, sur les d?fis que ce contexte pose, sur les strat?gies d’action pour relever ces d?fis, ces divergences ne peuvent qu’enrichir les r?flexions des uns et des autres et ?largir, par ce fait, les horizons des possibles pour l’action de chacun et de tous. Quand, par contre, elles deviennent un pr?texte pour d?nigrer son prochain, pour m?priser son frère ou sa sœur, pour rabaisser les efforts d’autrui, et pour, finalement, refuser d’?couter, de dialoguer et de travailler avec nos semblables, alors dans ce cas, ces divergences deviennent une pathologie qui fragilisera davantage la communaut? qu’on pr?tend servir et l’offrira proie facile à ses d?tracteurs.
La divergence en elle-même ne peut donc porter la responsabilit? de nos manquements. La cause de ces d?ficiences r?side dans cette manie que nous avons tous de prendre nos opinions pour des v?rit?s finales et irr?versibles. Paradoxalement, celui parmi nous qui se dit ouvert aux diff?rences semble prêt à s’enfermer pour d?fendre son ouverture, tandis que celui qui prêche l’union accepte volontiers la guerre de tous contre tous au nom de l’union souhait?e. Entre les fanatiques de l’union et les fanatiques de la diff?rence, ce sont dès lors les int?rêts de la communaut? et l’avenir de ses enfants qui se perdent. Même bien intentionn?es, ces v?rit?s assassines gangrènent les liens intra- et inter-associatifs, pourrissent l’environnement de travail des cadres associatifs et hypothèquent les chances de succès de beaucoup de projets communautaires. N’est-il donc pas temps pour nous de le comprendre ?
Mais, à vrai dire, la question de la compr?hension n’a aucune pertinence ici. En effet, nous comprenons toutes et tous qu’il nous est possible de diverger. Il nous est malheureusement plus difficile de tirer les implications qui d?coulent de cette compr?hension, et plus p?nible encore de vivre dans le feu de l’action en fonction de cette compr?hension et de ces implications.
C’est donc l’incoh?rence de nos actes avec nos discours qui ne semble pas avoir de limites. C’est l’adh?sion dogmatique à nos principes et à nos opinions qui, dans les faits, nous blesse et nous fragilise. Et c’est, à mon avis, seule une ?thique de l’humilit? qui pourrait nous sauver de l’ab?me auquel ces v?rit?s assassines nous pr?destinent.
Par Abdelaziz Djaout
Vos r?actions à propos de l’article abdelaziz.djaout[at]salamontreal.com