Au cœur des carrières
Au cœur des carrières
Par Mohamed Dadi
” Un expert c’est celui qui a fait toutes les erreurs qu’il est possible de faire dans un domaine restreint” (traduction libre). Niels Bohr, Physicien danois (1885-1962).
Assumer la responsabilité de ses paroles est un principe général d’éthique et de vie en société. On peut en débattre longuement sous différents angles, mais je vais focaliser mon texte sur l’application de ce principe dans le champ des relations professionnelles.
Le monde professionnel regorge d’interactions de divers genres et utilisant une multitude de canaux : les communications verbales, écrites, par courriels ou par lettres traditionnelles; les communications formelles dans le cadre de l’exercice de tâches professionnelles et les communications informelles à la cafétéria du bureau ou à un 5@7.
Un choix judicieux parmi cette multitude de genres d’interactions dénote une conscience de la portée de la communication sur l’évolution des carrières. Ce choix peut propulser la carrière vers des horizons de haute direction, qui autrement seraient inaccessibles, même avec une expertise pointue et une compétence prouvée. C’est que l’expertise et la compétence ne peuvent suffire à elles seules, à partir d’un certain niveau de carrière.
D’autres combinaisons malheureuses peuvent aussi découler des multiples facettes de la communication. Ces combinaisons peuvent parfois transformer la parole dite ou la phrase écrite d’une manière tout à fait «innocente» et /ou inconsciente, en un vecteur destructeur de celui qui a dit la parole ou écrit la phrase. Elles peuvent aussi miner le groupe de travail en favorisant l’émergence de patterns contreproductifs. Parmi ces patterns, je citerai : la concurrence loyale ou déloyale dans une phase de travail qui requiert la coopération; la formation au sein d’une équipe, de clans antagonistes qui se disputent le trophée du «Clan qui trouve le plus de puces sur la tête des autres clans» et ceci au détriment des objectifs professionnels; ou encore, dans le cas extrême, une animosité contre le «parleux» qui se propage à la vitesse des…pauses café. Cette animosité qui prolonge ses journées de travail par des nuits d’insomnies et qui peut impacter ses capacités socioprofessionnelles et altérer son jugement, pattern communément connu sous le terme de «harcèlement psychologique».
Je vais m’appliquer dans ce qui suit à mettre en exergue quelques cas de communications désastreuses et donner des exemples du domaine professionnel. Je tenterai aussi d’indiquer la pratique qui me semble la bonne au moment ou j’écris ce texte. Je voudrai juste signaler qu’il s’agit là d’un exercice de réflexion à haute voix, qui prend ses sources, principalement dans mon expérience personnelle ainsi que de discussions avec des collègues et amis intéressés par le sujet. Je tiens aussi à préciser que je ne suis pas adepte de la communication sans éthique qui s’apparente plus à de la manipulation et à l’exploitation des faiblesses conjoncturelles ou permanentes de ses interlocuteurs … Ceci est une modeste contribution qui permettra, je l’espère, d’éviter des écueils classiques dans le milieu professionnel.
Je me suis personnellement tellement trompé durant ma carrière, que le simple fait que mes erreurs servent à ma communauté, constitue pour moi, une expiation de celles-ci !
Règle 1 : Communiquer, juste ce qu’il faut
La première règle est celle de « Communiquer, juste ce qu’il faut », on peut l’énoncer par : Nul n’est tenu de communiquer ce qu’il n’a pas envie de communiquer. On n’est pas obligé de toujours répondre à toutes les questions. En tant que professionnel, on a le droit de dire qu’on ne veut pas en parler ou que le contexte ne se prête pas pour discuter d’un sujet en particulier. C’est le cas des discussions informelles en milieu professionnel et à teneur politique, religieuse, culturelle ou sur des affaires personnelles tel que le salaire pour ne citer que ces exemples. Un de mes anciens collègues avait comme principe de ne pas discuter sur ces sujets et il l’annonçait d’entrée de jeu, dès l’entrevue d’embauche pour ne pas surprendre ses futurs collègues et patrons.
En quoi ce genre de discussion peut-il nuire ? Il est évident pour le commun des mortels que la plupart du temps, ce sont des sujets chargés d’émotions et souvent de l’ordre du subjectif. Certes, il y a des cas où le rationnel l’emporte, mais ce sont des cas rares. Le cas le plus défavorable c’est celui où la discussion tourne à celui qui a raison et déteint sur le domaine professionnel.
Règle 2 : Jugement de valeur
La deuxième règle est celle de «Ne pas émettre de jugement de valeur et/ou rester centré sur les faits pertinents au sujet». Un jugement de valeur porte en général sur des valeurs humaines. L’humanité tente de trouver des valeurs universelles, mais le consensus est loin d’être dégagé. En ce sens que les valeurs sont intimement liées au temps, au lieu, à la culture, à l’âge… Tout jugement d’ordre professionnel doit rester loin de l’ordre des valeurs, on y gagne tous à appliquer ce principe. À titre d’exemple, des clichés de l’ordre des valeurs : vieux égal dépassé et vielle technologie, Rock’n roll égal pas sérieux, croyant égal coincé, athée égal pas mon ami… Si on se tient aux faits professionnels pertinents à la discipline dans laquelle on exerce, tout le monde est gagnant. Nous avons tous nos valeurs qui ne sont pas nécessairement partagées par les autres. Tu as le droit d’avoir des idées géniales, même si je n’aime pas ta façon d’être. Sur un plan purement comptable, des jugements basés sur les valeurs dans le domaine professionnel nous font souvent rater de brillantes occasions de nous distinguer et d’avancer avec l’autre «différent».
Règle 3 : Divulgation de l’information
La troisième règle est «Le seul moyen de protéger une information est de ne pas la divulguer». Par protéger une information, j’entends simplement, ne pas la divulguer pour diverses raisons. Cela peut aller du caractère confidentiel de l’information en passant par le devoir de réserve que tout employé ait envers son employeur ou bien une information qui nous a été confiée à titre privilégié et que son propriétaire aurait pu lui-même la « broadcaster» s’il en avait l’intention. Parfois, on se laisse emporter par des relents sentimentaux passagers, on se laisse aussi emporter par une alliance de circonstance pour commencer à divulguer ses secrets au sens large. Souvent pour se défouler ou se mettre en évidence, en espérant que notre secret sera gardé. La vérité est que les alliances de circonstance se défont aussi rapidement qu’elles se font et les langues se délient à l’occasion de nouvelles alliances plus payantes. Donc, le meilleur moyen de garder un secret est de ne pas le dire. Si vous voulez qu’une information ne soit pas sue, ni aujourd’hui, ni demain, ni dans 10 ans, il ne faut tout simplement pas la dire.
Règle 4 : Transmission d’un message est l’objectif ultime de la communication
La quatrième règle s’annonce comme suit “la transmission d’un message est l’objectif ultime de la communication “, soyons assez humbles, souples et créatifs pour que l’enveloppe du message n’altère pas son contenu. On peut atteindre cet objectif en respectant certaines règles :
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choisir un niveau de langage adéquat au contexte. De nos jours, le niveau courant du langage est très accepté dans la majorité des situations. En particulier, éviter de parler comme des livres et éviter la recherche systématiquement des mots savants, cela s’appelle, piéger son propre message !
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«Those who can do, those who can’t teach», proverbe anglais que je prends la liberté de traduire par «le meilleur moyen de transmettre un concept ou une idée est de les mettre en pratique». Les plus beaux concepts, les plus belles idées et les plus originales n’ont de valeur que si elles nous aident concrètement à résoudre un problème ou à améliorer une situation. Une compagnie d’affaires n’est pas une agence d’enregistrement de brevets, c’est une machine à produire de la valeur. C’est dommage de perdre sa crédibilité à cause de l’originalité de ses idées !
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Un des défis de la communication en entreprise est la diversité des interlocuteurs. Chaque groupe de métier possède un jargon qui lui est propre, il possède aussi sa propre vision de la «business». S’approprier le jargon de son interlocuteur et comprendre ses préoccupations dénote une maturité professionnelle, sinon sociale tout simplement. Être préoccupé par le «comment notre message sera perçu» n’est pas seulement de l’empathie -si ça l’est, c’est tant mieux-, mais une recherche d’efficacité. Je peux essayer d’expliquer la théorie de la relativité à mon patron, mais encore faut-il que je le fasse de manière à ce qu’il me comprenne et que je puisse justifier «l’étalage» de ma science. Plus encore, je ferai en sorte que cela ne soit pas perçu comme de la vanité ou une recherche de crédit … théorique. Si à la fin de mon «speetch», mon patron pense que je le prends pour un imbécile et que je serai mieux à sa place, je ne devrai pas m’étonner que ce présumé imbécile me recommande au chômage à la première occasion, ce ne sera que de la légitime défense.
Règle 5 : Discussion professionnelle versus cadre professionnel
La cinquième règle est de ne discuter professionnel que dans un cadre professionnel. L’exemple le plus simple de ce cas, est : une personne qui travaille sur un projet x, discute avec une personne qui travaille sur un projet y, et le sujet est le projet Z ! Ce genre de discussion est souvent inadéquat, car celui qui ne connait pas un projet expose son opinion à celui qui ne le connait pas plus que lui, le résultat est que le jugement de celui qui écoute ne peut pas être rationnel. C’est l’occasion idéale de la montée de la mayonnaise du subjectif et de l’irrationnel. Dans ce genre de discussions, le risque de se tromper est grand, du fait de l’absence de contraintes organiques telle que l’imputabilité ainsi qu’une vision partielle sur le sujet. Les intérêts de l’organisation et des individus sont gravement mis en danger pour un besoin de … dilettante. La meilleure façon et la façon la plus professionnelle d’en parler est de convoquer une réunion officielle en présence de tous les intéressés.
Bien entendu, toutes ces règles ne sont que des lignes directrices que chacun peut doser selon son milieu de travail, sa personnalité, les circonstances… La modération et le gros bon sens seront nos meilleurs alliés, le dogmatisme, un de nos ennemis.
Finalement, il vaut mieux tourner 7 fois sa langue avant de parler, comme dit le proverbe arabe. En espérant que les idées énoncées ici nous seront utiles ou tout au moins nous feront réfléchir sur une question au centre des préoccupations de tout un chacun, notre carrière professionnelle, dirigée par nos propres actes, assumés ou non.