J’ai honte !
J’ai honte !
Ahmed Bensaada (*)
J’ai honte d’être Arabe et de constater une fois de plus que la déliquescence de notre arabité a atteint des abîmes insoupçonnables. Cette arabité dépravée qui vivote au sein d’une Ligue de 22 pays qui se sont ligués les uns contre les autres et qui n’arrivent ni à ouvrir une pitoyable frontière, ni à faire cesser les pluies de phosphore blanc et dont les dirigeants se sont cloîtrés dans un mutisme complice, alors que le décompte macabre des victimes de Gaza ne cesse de s’égrener inexorablement et d’alourdir nos peines. Des dirigeants serviles qui devraient prendre de la graine sur le président Chavez qui, ni Arabe, ni musulman, ni Africain, ni lavette, a expulsé l’ambassadeur de l’État hébreu en fustigeant l’offensive sur Gaza comme il l’avait fait en 2006 lors de l’ignoble agression sur le Liban. Qu’attendez-vous Égypte, Jordanie et Mauritanie ? Avez-vous peur qu’on vous coupe les vivres ?
J’ai honte que le monde musulman auquel j’appartiens soit une nation dont les droits et les croyances sont régulièrement traînés dans la gadoue, et qui n’a trouvé que des prières et des slogans à offrir contre les DIME (Dense Inert Metal Explosive) qui déchiquètent nos frères et soeurs en direct, sur tous les écrans du monde, les transformant à dessein en cobayes humains. 1,2 milliard de musulmans impuissants devant la détresse, le malheur et l’appel au secours de leurs coreligionnaires injustement massacrés.
J’ai honte d’avoir toujours enseigné à mes élèves que la justice, la solidarité et la démocratie étaient des gages de la fraternité et de l’égalité entre les peuples. J’aurais dû, bien au contraire, paraphraser La Fontaine et leur expliquer que la raison du plus fort est toujours la meilleure, que c’est l’injustice qui mène le monde, que les êtres humains ne sont pas égaux, que la vie de ceux qui ont des armes et de l’argent est plus importante que celle des moins nantis, ceux qui n’ont rien pour se défendre, ceux qui n’ont que la mort à offrir en échange.
J’ai honte d’avoir longtemps cru que l’ONU était un Etat suprême qui garantissait les droits de tous ses pays membres et que son rôle était de régler les conflits, de protéger le faible et de jeter la pierre au méchant. Il s’avère que cette organisation est un vulgaire machin (comme l’a si bien dit un homme d’État français), une institution sclérosée qui n’a pour mission que de pondre, de peine et de misère, des résolutions qui ne sont, de toute façon, jamais respectées par l’État hébreu. Et que dire du TPI ? Dixit Patrick Besson dans Le Point : «L’opération «Plomb durci» de Tsahal dans la bande de Gaza ? Heureusement que les Israéliens ne sont pas Serbes, sinon Tzipi Livni et Ehoud Olmert seraient en route pour le Tribunal international de La Haye». Mais, mon cher, ces deux là ne sont pas Serbes et encore moins Rwandais !
J’ai honte d’être citoyen d’un des plus merveilleux pays de la planète, en l’occurrence le Canada, précurseur des missions de la paix à travers le monde, et qui, maintenant, se fourvoie dans une politique de soutien inconditionnel à un Etat voyou qui se targue d’être la seule démocratie du Moyen-Orient et qui trucide hommes, femmes et enfants sans distinction. Le Canada qui a été un des plus grands pourvoyeurs de Casques Bleus de l’ONU dans de nombreux conflits militaires et qui, maintenant, est le SEUL pays qui vote contre une résolution du Conseil des Droits de l’Homme des Nations unies (UNHRC) qui « condamne vigoureusement l’opération israélienne » dans la bande de Gaza!
J’ai honte d’avoir pensé que les médias occidentaux étaient des chantres de la liberté d’expression, des ténors de l’analyse objective et des défenseurs de la vérité. Il s’avère que leur langue est faite d’un bois aussi noir que l’ébène et aussi dur que le bois pétrifié. Eux, qui se pensent gardiens de l’éthique journalistique, transforment la victime en bourreau et le bourreau en ange qui donnent une leçon aux Palestiniens qui ont osé troubler le sommeil des habitants de Sderot et les empêcher d’aller faire une marche avec leurs enfants dans le parc (JT de France 2, 30 octobre 2008). Savez-vous au moins que Sderot a été construite sur les cendres de la ville palestinienne de Najd rasée par les sionistes en 1948 ?
J’ai honte d’avoir, il y a plusieurs années, payé un billet pour écouter Enrico Macias, cet individu qui se pense plus Algérien que les Algériens et qui a été un des premiers à manifester pour que le génocide de Gaza se poursuive. Avez-vous perdu la raison, monsieur le troubadour pied-noir ? Avez-vous oublié les paroles du « Grand pardon » ? Ou alors ce n’est que l’appât du gain qui vous fait chanter ce que vous ne pensez pas ? Et dire que c’est vous qui chantiez « Enfants de tous pays, tendez vos mains meurtries, semez l’amour et puis donnez la vie » ? Les enfants de Gaza tendent leurs mains meurtries vers le ciel, et celles de l’État sioniste sèment la haine et donnent la mort.
J’ai honte d’être un être humain et de me voir contraint de partager un bagage génétique avec les bourreaux de Gaza, d’avoir les mêmes chromosomes que ces génocidaires irresponsables qui ont oublié leur propre histoire.Et puis, en y pensant bien, les êtres capables de telles barbaries sont-ils vraiment humains ?
(*) Cet article a été publié avec l’accord de son auteur (l’article a été publié dans le Quotidien d’Oran du 18 janvier 2009)